[Interview] : BOSS - Joeystarr & DJ Spank (Tracklist #07, septembre 2002)

Publié le par Nico

 

Joey Starr & DJ Spank.

 

Nous avions dans l’idée d’offrir à Joey Starr, au vu des dernières affaires l’ayant mis en cause, un droit de réponse s’il en ressentait le besoin. Sa réponse fut la suivante, nous la respectons et la soutenons : « Je n’ai pas à me justifier. Si j’ai des choses à dire ça sera aux gens qui font partie de mon entourage que mon comportement aura pu attrister. Ça ne regarde personne d’autre. Pour les gens qui pensent que ça fait partie d’un programme marketing ou je ne sais quoi… ça me fait bien rire. Je ne leur souhaite pas d’avoir la justice aux fesses comme moi je l’ai. »

Finalement, on ne peut que s’en féliciter. On évite le sensationnalisme pour parler avec Joey et Spank (les fondateurs du Boss Of Scandal Strategiz) de ce qu’ils font finalement le mieux : LA MUSIQUE. Ainsi, les deux amis de 15 ans s’expriment sur leur rencontre, leur façon d’aborder la production, de gérer leurs artistes et leur structure… Des choses que beaucoup préfèrent oublier pour parler de sujets plus croustillants qui, au final, n’apportent pas grand chose.

 

Comment vous êtes vous rencontrés ?

Spank : On se connaît depuis une quinzaine d’années. Je dansais et je voyais Joey évoluer parmi les meilleurs danseurs de Paris. On s’est rencontré au terrain vague de la Chapelle et c’est par le tag qu’on s’est rapproché : on a fait pas mal de virées ensemble, on a cartonné pas mal de trucs… A l’époque, je mixais aussi : il venait écouter du son à la maison (c’est un peu toujours la même chose aujourd’hui) et au fil du temps, on est devenus amis.

 

Spank, on te connaît moins bien que Joey. Tu pourrais nous retracer un peu ton parcours ?

Spank : J’étais vendeur à Tikaret dès le début. Je me suis fait virer par Dan parce qu’il m’avait interdit de tagger en face du magasin… ce que je n’ai pas pu m’empêcher de faire lors d’une virée un soir avec BOXER et BANDO (rires). Il m’avait déjà gracié une fois mais j’ai pas su résister : tu vois tes potes en train de cartonner, l’envie était trop forte. A l’époque, Tikaret était le centre du Hip Hop à Paris, tout le monde aurait kiffé être à notre place en tant que vendeur mais on était à fond dans le tag, trop têtes grillées (rires).

Après ça, je suis parti à Londres quelques temps où j’ai bossé avec des artistes locaux. Petit stand by dans ma vie jusqu’au jour où Joey m’a proposé de faire un son sur « Authentik ». Ensuite il m’a proposé de concrétiser ce qu’on faisait dans la prod par quelque chose de sérieux. On a tenté et ça a pas mal fonctionné.

 

Comment tu abordes ta fonction de DJ de soirée ?

Spank : Animer correctement une soirée, c’est pas forcément mettre un « Hip Hop Hooray » pour relancer la machine. Ce que je reproche à pas mal de DJs, c’est de ne pas prendre de risques. J’ai pris tellement de claques dans la gueule à mes débuts, quand j’étais assez sectaire, très underground dans mes sélections que j’ai appris à associer morceaux qui vont toucher un public assez large à des morceaux plus pointus.

Quand je passais des trucs électro il y a cinq ans, les gens ne comprenaient pas ! Aujourd’hui, c’est la grosse tendance aux Etats Unis, les mecs de maison de disque s’y mettent mais sans se demander si le public français est prêt à écouter ça. Il y a une éducation différente dans l’approche du son. C’est pour ça que dans nos prods, on essaie de garder des samples (parce que c’est la base du son Hip Hop et que c’est ça qui va donner l’ambiance à ton morceau) auxquels on ajoute des trucs qu’on va jouer nous mêmes.

 

Vous êtes toujours proches malgré toutes ces années alors que les amitiés avec NTM ont généralement tendance à être éphémères. Comment expliquez-vous la longévité de votre duo ?

Joey : La musique. On a plein de points communs dans nos goûts… A l’époque du graffiti, on avait cette passion en commun, aujourd’hui c’est le son…

 

Pourquoi avoir choisi BOSS comme nom pour votre label ?

Spank : A l’époque du Terrain Vague, il y avait un crew de tag (dont nous faisions partie) réunissant DRC, TCG, BBC qui s’appelait Boss Of Scandal (BOS). On voulait faire un clin d’œil aux anciens. On a rajouté un S pour le mettre à notre sauce, pour que ça soit plus esthétique.

 

Vous avez réalise le son de « Quelle gratitude ? » sur le premier album de NTM « Authentik ». Comment vous-êtes vous mis à la prod ?

Joey : Les premiers trucs qu’on ait fait, c’était pas « on va faire de la prod », c’était plus « on essaie de faire quelque chose ». Spank avait pas mal de disques, un peu d’expérience donc on a essayé…

Spank : J’avais déjà travaillé outre-manche avec des gens comme Nefateri, No Sell Out, Cash Crew… Rien de vraiment concret à l’époque, je ne faisais qu’apporter les idées alors qu’avec Joey on a mis vraiment la main à la pâte, on s’exécutait vraiment.

 

Vous signez les prods à deux. Comment travaillez-vous ?

Spank : Je peux trouver le sample, Joey peut taper le beat et la basse ou l’inverse. Il n’y a pas vraiment de formule, c’est au feeling.

 

Quand vous produisez, vous faites les sons d’abord et les artistes choisissent ensuite ou alors vous faites les sons en fonction de l’artiste ?

Joey : On fait des sons et on se dit « peut être que ça irait bien à celui-là ». Il n’y a rien d’adapté. Il y a une base et si tu sais qui tu vas mettre dessus, tu peux orienter la prod mais on préfère rechercher l’accident en proposant à quelqu’un un son dont il n’aura pas l’habitude. Aujourd’hui, nos artistes peuvent kiffer une prod mais ils savent se rendre compte par eux mêmes si elle est pas faite pour eux ou pas.

Nous mêmes au début, on se jetait sur un son et puis une fois qu’il fallait poser dessus « ah ouais c’est dur quand même ». A l’époque, on était dans un délire « performance » plus que « musique ». Quand j’écoute « Je rap » sur « Rapattitude », le son c’était un breakbeat. Maintenant, on veut faire de la musique et c’est ce que les gens veulent.

 

Quand avez décidé que BOSS allait devenir quelque chose de sérieux ?

Joey : Il y a deux ans. Spank avait la gérance d’un magasin de disques sur Châtelet où plein de rappeurs passaient. C’était un vrai réservoir à talents et comme on le lançaient dans la prod, on s’est dit qu’on pouvait combiner ça. Même si on aimait être dans la cave, qu’on sortait des trucs de façon épisodique, avoir quelques artistes avec lesquels on pouvait avancer, ça motive plus. En plus, ça sert de vitrine pour que les gens viennent te demander des prods par la suite. On a donc lancé la compile et le reste a suivi.

 

Quand on compare le casting des mix-tapes de Dontcha (Dontcha Flex vol. 3 et 4 sortis en 1997) et celui de la première compilation BOSS, on constate une grande similitude. A-t-il joué un rôle dans le recrutement des artistes ?

Spank : Je connaissais Dontcha grâce à Tikaret. On cotoyait les mêmes mecs à la boutique. Le seul qu’il nous ait fait rencontrer, c’était Mass.

Joey : Ce n’est pas la même démarche. Nous on fait des prods, les gens viennent, choisissent et on va en studio. Lui faisait des mix-tapes, les mecs posaient sur des faces B un peu à l’arrache. Le risque et la démarche ne sont pas les mêmes. On attend que les groupes qui viennent fassent un truc carré. Ceci dit, je ne dénigre absolument pas les mix-tapes, c’est juste que ce n’est pas le même travail.

 

Vous aviez commencé à travailler sur les albums de Beedjy et de Dontcha mais la collaboration s’est arrêtée en cours de route. Etait-ce un signe que le label n’était pas encore prêt à gérer un artiste ?

Joey : Mis à part Mass il y a peu, personne ne nous a quitté. Le truc avec Mass, on était grave partis pour mais ça a glissé en chemin. Sinon, tu as peut être raison, on n’était peut être pas assez murs encore. C’est sur que de prendre une douzaine d’artistes et de les faire bosser chacun sur un morceau ce n’est pas la même chose que de travailler sur un album entier.

Mais je crois que c’est bien d’en être conscient. Si tu l’es pas, c’est ton égo qui parle et le petit jeune que tu as décidé d’aider, en fait, tu l’envoies dans le mur. C’est pour ça qu’on prend notre temps. Même avec un mec comme Jaeyez qui a un potentiel de ouf en terme d’écriture, d’idées… Faire un bon album avec lui oui, mais il y a plein de réalités sur lesquelles il faut qu’on se mette d’accord. Il y a ce qu’il a envie de faire (et il n’y a pas de soucis là dessus) et ce qu’on peut le pousser à faire parce qu’on aura peut être plus de recul. Il peut faire 12 « morceaux d’album » et un ou deux morceaux plus dancefloor un peu au hasard et qui pourraient être mieux si on l’aidait à se focaliser dessus. C’est pas faire des concessions… Jaeyez connaît ces trucs là, il a déjà sorti des albums. La démarche c’est pas de lever les bras quand tu as gagné mais de se rendre compte de ses erreurs et d’en faire une force.

Ça fait 15 piges que je suis là dedans, une grosse dizaine d’années que j’y comprends vraiment quelque chose mais je sais toujours pas ce que c’est qu’un single, ni comment en faire un. Pour moi, Iron Sy qui gueule « Mets ta main sur tes couilles et crie who’s bad » c’est un single. « Ma Benz » c’est une surprise totale. Si on avait su que ça allait être un tube, on aurait plus bossé la musique : là, elle avait été faite pour écouter le woofer dans le coffre de la voiture. C’était une époque où on bouclait les sons en deux ou trois heures.

A l’heure d’aujourd’hui, on réalise en partie le deuxième album de Lady Laistee (on avait déjà participé au premier) et on pense pouvoir faire de bonnes choses.

 

Que sont devenus Mass, Les Reptiles, Cash Flow, etc… ?

Joey : Pour Mass, je ne sais pas. On continue de bosser avec Naja des Reptiles, on va sortir son maxi un peu plus tard (ça sera la seconde vague). Cash Flow prépare une compilation de son côté. Ce n’est pas une divergence, il n’était peut être pas destiné à faire partie du collectif.

 

Vous avez réalise pas mal de bandes originales de film ces derniers temps. Pourquoi ce choix ?

Joey : Quand on te propose, tu es flatté déjà. En plus, c’est un bon exercice, c’est pas juste faire 3 morceaux qui ont un rapport avec les images, c’est habiller tout le film. Quand tu sais la dimension que peut apporter la musique aux images… Ce qui est intéressant pour nous, c’est d’arriver à prouver qu’on sait faire autre chose que du boom bip, qu’on sait faire de la musique. La musique qu’on aime, c’est des ambiances alors on essaie de faire la même chose à notre sauce. De toute façon, la qualité d’un morceau est due à l’ambiance qu’il va dégager.

 

Le temps que vous passez à réaliser ces BO, vous ne l’utilisez pas pour développer vos artistes. Pourquoi ce choix ?

Joey : On les place à chaque fois sur les bandes originales qu’on réalise. Et puis, on est un label indépendant, il faut bien qu’on vive. Faire ce genre de projet, ça nous permet de sortir des maxis, de monter un petit studio grâce auquel on peut bosser comme et quand on veut… Je pense que c’est faire de l’alimentaire intelligent pour un petit label comme le notre. Ceci dit, on n’accepte pas tout : on a refusé de faire des pubs ou des trucs qu’on trouvait vraiment pas terribles.

Faire une BO, c’est un rendez-vous ou deux avec le réalisateur, on lui explique ce qu’on veut faire, il nous envoie des images et après ce sont les agents qui gèrent entre eux. On ne va pas passer deux mois ensemble, sur le tournage, etc… Mais ça fait toujours super plaisir qu’un mec comme Besson vienne, écoute notre son sur ses images et qu’il dise qu’il a aimé.

Pour le moment, on n’a bossé que sur des trucs qui bougent (Féroce, Yamakazi…), ça nous aide pas mal. Les gens ne se rendent pas compte qu’on travaille beaucoup l’ambiance. On aimerait bien s’essayer à un truc plus « calme ».

 

Il y a une BO dont vous êtes particulièrement fières ?

Joey : Moi j’aime bien « Féroce ». Il y a de bonnes choses sur « Old School » aussi mais ça ne suivait pas aussi bien niveau réalisation.

 

Être indépendant, c’est quelque chose qui vous tient à cœur ?

Joey : On aurait pu signer avec une major mais on en est là. Je veux me tromper tout seul, je n’ai besoin de ces gens là que quand j’ai besoin d’argent, le reste du temps j’ai ce qu’il me faut. Je me fous que les mecs de maison de disque aient aimé ou pas, le seul truc qui m’intéresse, c’est de savoir si ceux qui s’occupent de la promo ont kiffé parce que sinon ils se battront pas pour défendre le truc. Moi je bosse avec les mêmes personnes depuis une dizaine d’années. Ils peuvent te dire qu’ils aiment pas trop sans que ça se passe mal et ils vont gérer la promo de manière intelligente. Et quand il y a des problèmes, je sais que je peux les avoir au téléphone, ils vont pas se cacher et se gêneront pas pour me dire « t’es relou ».

Il n’y a pas d’émissions musicales donc tu es obligé d’aller te taper de la promo dans des émissions où les gens ne connaissent pas ce que tu fais. Ça va une demi-heure mais après tu te demandes ce que tu fous là. Le mec raconte sa vie alors que je m’en fous (rires). Les gens de la promo savent que j’aime bien l’accident, que j’aime aller dans des trucs dont on arrivera à ressortir quelque chose. Ça me saoule de faire des journées promo où tu fais dix interviews à la suite où tout le monde te pose les mêmes questions. Pourtant on n’a jamais refusé de faire des interviews ni mis de plans.

Je ne vais pas à la télé pour faire de la provoc’, j’y vais pour vendre un disque. Mais ce n’est pas parce que je suis là pour ça que je vais baisser mon froc et fermer ma gueule quand on va me sortir une connerie. Il y a deux types de présentateurs : les journalistes et les speakerines. La plupart du temps, je suis spectateur, pas protagoniste. Je suis devant ma télé, je suis là « espèce d’enculé de ta mère » et quand je me retrouve en face du mec, je me dis « ah tu rigoles moins enculé » (rires). Je sais qu’à ce moment là, il n’y a pas qu’à moi que je fais plaisir mais je viens pas là pour faire le malin… J’y vais pour m’amuser comme quand je vais faire le Morning Live avec l’autre taré de Michael Youn.

 

Qu’est-ce qui vous plait dans le fait d’animer Sky BOSS ?

Spank : Déjà on passe la nuit à envoyer des disques qu’on aime. Tu fais partager le son que tu kiffes à des gens sur un plan national, c’est beaucoup mieux que d’animer en soirée : c’est pas le même impact.

 

Et aussi le fait de faire découvrir de jeunes groupes (comme ça a été le cas de Disiz par exemple) ?

Spank : Oui bien sur. Quand les mecs nous remercient de les avoir passer, on leur répond de se remercier eux-mêmes d’avoir fait du bon son.

 

Comment gérez-vous vos rapports avec Sky ?

Spank : Dès le départ, on a exigé qu’ils n’aient pas leur mot à dire sur ce qu’on allait faire. La seconde exigence était de ne pas faire ça dans les locaux de Sky parce que ça nous saoulait de bouger là bas toutes les semaines donc il nous a proposé de faire ça depuis chez nous.

Joey : « T’as rien à dire parce que tu connais rien ».

 

Joey, tu as réalisé quelques clips il y a un moment. Tu as envie de te lancer un peu plus dans la réalisation ?

Joey : Franchement non. Ça tenait plus de la nécessité qu’autre chose. J’étais pas mécontent du résultat mais c’est un truc un peu chiant à faire. Je suis curieux donc j’ai essayé mais c’est pas ça que j’ai envie de faire. J’ai veux faire de la musique.

 

Les prochaines réalisations BOSS ?

Joey : Les maxis de Naja, D.Dy, Tiwony et l’album de Lady Laistee.

 

Jack O’Lantern

 

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