[Interview] : Les Spécialistes (Tracklist #08, novembre 2002)

Publié le par Nico

Les Spécialistes.

 

Après un premier album éponyme sorti en 1999, le duo Tepa / Princess Anies revient officiellement sur le devant de la scène avec un nouveau maxi intitulé « Le sexe faible ». Entre temps, quelques péripéties ont ralenti le groupe qui espérait sortir un nouvel album l’an dernier : différends avec BMG (leur ancienne maison de disque), dislocation du Da System, rencontre avec IV My People… Mais cette fois-ci c’est officiel, les Spécialistes reviennent, épaulés par les indépendants de IV My Peeps…

 

Votre album est sorti il y a maintenant près de trois ans, il y a un an et demi vous annonciez le nouvel album pour « bientôt » et finalement, rien n’est sorti. Que s’est-il passé ?

Tepa : Certains aléas de la vie ont fait qu’on a pris du retard. A coté de ça, il y a toujours des gens qui te promettent des choses et qui finalement ne sont pas capables d’assurer derrière. T’as pas le temps de t’en apercevoir que deux ans sont passés…

Anies : On a continué à travailler pour essayer d’apporter une nouvelle vibe pour l’album qui va sortir prochainement.

 

Qu’allez-vous faire des morceaux que vous aviez enregistrés à l’époque ?

Anies : On en a fait tourner pas mal sur mix-tape (le morceau avec Busta Flex, celui avec Arsenik ou encore un solo de Tepa). Ces morceaux ont été écrits à un instant I et aujourd’hui, ils peuvent être un peu dépassés. On peut les garder dans la mesure où on les retravaille, où les réactualise. A coté de ça, on continue à faire des morceaux chaque semaine…

 

Vous disiez que des gens vous ont fait des promesses qu’ils n’ont pas pu tenir. Vous pensez toujours qu’on peut bosser en maison de disque librement ?

Anies : Sans problème artistique oui vraiment. Tu peux imposer ta griffe à toi, faire ta musique sans te formater. C’est une question d’état d’esprit de l’artiste : s’il se laisse marcher sur la gueule, il va sortir des singles à la Yannick mais s’il a une identité forte, il restera tel qu’il est.

Tepa : A coté de ça, tu as les aléas du business : les changements de directeur artistique, de direction, les fusions, etc… Tu peux continuer à faire ce que tu veux en maison de disque mais ça peut capoter derrière dans la façon dont ils vont travailler le « produit » et il peut y avoir des désaccord.

Anies : Tout à fait. Tu es en indépendant, tu as ton album terminé, les moyens : tu peux le sortir comme tu veux. En maison de disque, ton album est fini mais le chef de produit change ou ça ne plait pas parce qu’il n’y a pas de single et la sortie est repoussée. Dans ce cas là, t’es pas maître absolu de ton disque.

 

Vous êtes toujours chez BMG ?

Tepa : Non, plus aujourd’hui. On est avec IV My People.

 

Comment s’est fait le rapprochement avec eux ?

Tepa : Ça s’est fait à la vibe, au feeling. J’ai rencontré leur équipe il y a très longtemps, le courant était bien passé, on était restés en contact. Il n’y avait pas eu l’occasion de faire quelque chose ensemble mais il s’est trouvé qu’on s’est séparés d’avec BMG et qu’entre temps ils avaient monté leur structure. On a commencé à travailler avec Madizm sur sa compile et finalement, IV My People nous a proposé de faire notre album chez eux.

On ne fait pas partie de leur « famille ». On est un groupe qu’il produise mais on n’a pas exactement le même statut que Salif, Sérum ou Toy par exemple. Eux forment le crew IV My People, nous sommes simplement produits.


Que va vous apporter l’autoproduction ? Il y aura sûrement moins de moyens pour la sortie de votre album…

Anies : Même si on était chez BMG, nous n’y étions qu’en licence, on faisait tout en autoprod. Pour ce qui est des moyens… il y en aura moins mais peut être que le travail sera mieux fait. Ils ont les mêmes connexions, ils savent travailler ce genre de musique… En plus, les enjeux ne sont pas les mêmes pour BMG et pour IV My People. IV My Peeps ne peut pas se permettre de ne pas travailler un produit qui sort chez eux alors qu’une grosse multinationale comme BMG sort 40 produits en même temps (du rock, de la techno, des artistes internationaux…). Être petit en maison de disque, c’est vraiment pas une situation évidente.

 

Parlez-nous un peu du morceau phare de votre dernier maxi, « Le sexe faible ».

Anies : C’est un morceau qui parle de la situation des filles dans le rap. On a voulu allier fond et forme pour faire passer un message. Ce n’est pas un simple clash : ce que dit Tepa est un condensé de ce qu’on entend dans le milieu sur les femmes qui rappent.

Tepa : On ne voulait pas faire un morceau moraliste qui aurait emmerdé les gens, c’est pour ça qu’on a choisi la carte de l’humour et de l’ironie pour que les gens tendent mieux l’oreille à ce qu’on dit. On prend le sujet à contre-pied du fait qu’on est un groupe mixte qui tourne depuis un moment ensemble.

Anies : On a trouvé ça marrant de faire dire à Tepa toutes ces conneries alors qu’on fait équipe depuis des années, ça va sauter à l’oreille de l’auditeur.

 

Pourquoi avoir voulu recréer l’ambiance de « Générations 2000 » (l’émission qu’Anies co-présente sur la radio parisienne Générations) en invitant Bob ?

Anies : C’est pour amener le clash de façon intelligente, l’ambiance de l’émission se prête bien à ce genre de chose.

 

Vous réagissez comment quand on vous parle de « rap féminin ». Pour les autres styles musicaux, on ne fait pas de différence entre sexe, on ne parle pas de « soul féminine » ou de « rock féminin »…

Anies : C’est une invention des médias. Quand les mecs voient qu’une meuf déchire, ils disent « elle fait du rap féminin », ça s’explique par le fait qu’on soit peu nombreuses.

 

Tu expliques ça comment ?

Anies : C’est une question qu’on nous pose très souvent. Quand tu regardes le milieu de façon extérieure, tu te dis qu’il n’y a que des mecs, machos… Tous le clichés que les médias véhiculent sur le rap. Forcément, la fille va flipper et réfléchir à deux fois avant de se lancer là dedans surtout qu’elle a des chances de se faire traiter de pute ou de bonhomme. Il y a aussi le fait qu’il n’y ait pas de véritable réussite féminine dans le rap en France.

Tepa : Il n’y a qu’à observer la société. Dès qu’une femme essaie de s’imposer dans un milieu d’hommes, ça crée l’événement ! Elles ont tout de suite plus de barrières à franchir. Et quand la presse parle des rappeuses, il faut toujours que ça soit dans un numéro spécial rappeuses. Pourquoi ne pourrait-il pas y avoir d’article toute l’année et devrait-on attendre un numéro spécial pour parler des filles ?

Anies : On nous fait faire des morceaux ensemble… Pourquoi ne pourrais-je pas faire un morceau avec n’importe quel mec ?

Tepa : Et même les filles s’y mettent. Il y en a qui veulent faire des trucs qu’entre filles, qu’avec des filles au micro, à la production, etc… Elles se ghettoïsent toutes seules.

 

Pourquoi cherche-t-on souvent à vous opposer les unes aux autres ?

Anies : J’ai jamais compris ça. Ils essaient de trouver des tensions là où il n’y en a pas. Parce qu’on a la même démarche de poser sur des mix-tapes, de taffer sur nos projets solos, on nous oppose alors qu’il n’y a aucune raison de le faire. Quelque part je comprends : on est peu nombreuse donc forcément on nous met en opposition, en compétition. On ne peut pas empêcher les gens de parler et de toute façon, comme dit Tepa, « les actes parlent plus fort que les mots ».

 

En tant que femme, comment réagis-tu face au concept d’Abuz « Ricardo Malone » (un album très porté sur le sexe) ?

Anies : Moi qui suis pas dans le délire « hardcore XXX », je respecte complètement. Comme pour Roll.K, Abuz est un rappeur authentique qui retranscrit ce qu’il vit et ce qu’il voit. Quand on voit son clip de « Cocotte », on peut penser que c’est un bâtard avec les meufs mais dans son album et dans sa vie, il respecte beaucoup plus les femmes que beaucoup de rappeurs. Son album parle des femmes et de l’amour (et du sexe aussi, ça fait partie des rapports homme-femme). Je pense que c’est un projet trop mature pour le rap français.

Tepa : Au départ, je pensais que c’était un virage à 180°, un peu surprenant mais finalement, à l’écoute de l’album, je trouve ça très cohérent.

 

On n’entend plus trop parler du Da System… Où est-ce que ça en est ?

Tepa : Le Da System n’existe plus. Chacun poursuit dans sa direction, va pouvoir s’affirmer en tant qu’artiste. A coté de ça, moi j’ai monté Box Office avec Atis, Stor.K… Le premier maxi est sorti il y a quelques semaines.

Anies : Si l’opportunité se présente on peut rebosser ensemble bien sur mais pour le moment on avance chacun de notre côté.

 

Quels sont vos projets futurs ?

Anies : Notre album chez IV My People. On ne peut pas trop en parler pour le moment, on travaille dessus. Sinon j’ai sorti un 2ème maxi et je travaille sur mon solo qui sortira en autoproduction à la rentrée si tout se passe bien.

 

Victor Von Fatalis

Publié dans Magazines

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article