[Interview] : Harcèlement Textuel (Tracklist #03, mars 2002)

Publié le par Nico

Après deux maxis et quelques apparitions sur mix-tape, le quatuor Harcèlement Textuel (deux MCs : Harlem et Brahi et deux DJs : Nabil et Mexxa BB) se lance dans l’aventure d’un premier album qui sortira sous les couleurs de Logilo Prod. Malgré leur relative jeunesse, ils font preuve d’une maturité et d’un réalisme rares à tel point qu’on finit par croire que les désillusions que pourraient engendrer un milieu aussi volubile ne sauraient pouvoir les toucher. Pas étonnant pour qui veut affirmer son identité propre et qui pose la connaissance des racines de la culture Hip Hop comme une nécessité absolue. Compte rendu d’une rencontre des plus intéressantes…

 

Pouvez-vous nous faire un historique du groupe ?

Harlem : On s’est rencontré Brahi et moi dans le métro en 1995, on a freestylé et depuis on rappe ensemble. Les DJs Mexxa BB et Nabil sont arrivés par la suite.

En 1997, c’est la rencontre avec Logilo, qui nous permet de poser sur sa mix-tape Logilo 4 (dont un vinyl intitulé "Pour l’amour du Hip Hop" regroupant tous les morceaux français de la tape a été tiré), qui aboutit à une signature chez Logilo Prod.

Brahi : A l’époque, on freestylait dans les magasins spécialisés (LTD, Tikaret, Urban…) et on avait de bons contacts avec les vendeurs : un vendeur de Tikaret nous a branché sur un plan radio à Générations et on a rappé dans l’émission de Zoxea et Tashi (avec qui on a sympathisé).

Après ce vinyl là, on a beaucoup travaillé et on a organisé notre vie pour pouvoir faire de la musique quotidiennement. Cette organisation s’est faite dans une optique carriériste : on ne veut pas sortir quelques titres et disparaître mais se créer une carrière sur le long terme. Ça nous a pris beaucoup de temps, c’est pour ça qu’on a sorti notre premier maxi "Epelle mon nom / Poum poum tchac 1 et 2" qu’en 2000. La signature avec Logilo est le résultat d’une vraie aventure humaine, pas que d’une histoire d’opportunité.

 

Comment évoluez-vous au sein de Logilo Prod et quel statut avez-vous par rapport à Puzzle qui est le groupe phare du label?

Brahi : Je pense pas qu’il y ait vraiment de groupe mis en avant, simplement il existe des priorités : au moment où Puzzle sortait, nous étions en train de nous organiser. Il faut savoir aussi qu’il y a pas que de la production de groupes chez Logilo Prod mais aux aussi des sorties de break beats, de mix-tapes… On s’est pas sentis abusés par Puzzle quand ils sont sortis, au contraire on leur a filé un coup de main pour la promo.

 

Logilo étant producteur et DJ, quelle place ont les DJ du groupe sur l’album ?

 Nabil : On aura une ou deux prods. On a le même statut que les MCs au sein du groupe, on essaie d’apporter notre touche personnelle sur chaque morceau.

Brahi : La place du DJ est aussi, voire même plus, importante que la place du rappeur. En France, on a surtout une culture de l’écoute de l’appareil mécanique lyrical mais le DJ qui pose ses scratchs sur un morceau fait le même travail que le MC qui écrit ses 32 mesures. La plupart du temps, l’identité qu’on donne à un morceau vient d’une idée d’un des DJ : il y a une vrai connivence entre ce qu’on écrit et ce qu’ils scratchent.

Harlem :  Leur travail est vraiment important et on voudrait qu’il y ait une double écoute de notre album. On a envie de toucher aussi bien l’auditeur "normal" que les DJs.

 

Jusqu’à présent, ce qui est ressorti de votre travail c’est un aspect freestyle dans l’énergie qu’il dégage…

Brahi : Pour nous, ce côté "freestyle" c’est de la musique. On fait de la musique avant tout et ce n’est pas sur un seul support qu’on peut apporter la globalité de ce qu’on aimerait faire. Même si ça sonne freestyle, on a développé des thèmes que ce soit dans "Faire du chiffre avec mes lettres" ou dans "Poum poum tchac" où on reprenait les arguments de ceux qui aiment et qui n’aiment pas le rap. Dans le maxi qui arrive "J’ai pas l’time / Flic ou voyou", c’est un peu moins freestyle que ce qu’on fait habituellement.

Ce côté dynamique ça tient aussi sûrement beaucoup à ce qu’on écoute. En plus, pour moi un texte n’a pas besoin d’être intellectuel pour être intelligent.

 

Quelle est votre démarche avec Harcèlement Textuel ?

Brahi : Tout l’aspect social et la démarche culturelle du rap devraient s’inscrire dans un fonctionnement de vie au quotidien alors qu’on a tendance à s’orienter vers des modes : au lieu de politiser le discours, tout est axé sur l’attitude. Je ne conçois pas que ma manière de vivre ne soit pas cohérente avec ce que je raconte.

Quand on rappe dans le métro ou dans la rue, c’est pas une campagne de promo. Faire ça (qui plus est tel qu’on est habillé), c’est un acte vachement politique : ça va vraiment à l’encontre de tout ce qui se passe socialement. C’est pas seulement vouloir être marginal et aller à l’encontre de tout ce qui se fait habituellement, c’est un positionnement général par rapport à notre existence qui contrecarre pas mal d’idées préconçues.

Dans le Hip Hop beaucoup suivent les modes et oublient que le rap c’est avant tout de la musique. Pour moi c’est un vrai drame. Le Hip Hop devrait être quelque chose d’uniquement positif, qui fait bouger et tous les aspects négatifs, violents ne devraient même pas exister.

 

A l’écoute de vos sons, on sent une grosse influence américaine et de la période 95-97 du rap français…

Harlem : A non pas du tout (rires). C’est tout à fait ça : pour le rap français, on est resté collé à cette époque avec La Cliqua, les Sages Po… et beaucoup de rap américain bien sur.

Brahi : On écoute de tout. Après on accroche plus ou moins sur des groupes mais en général ce sont des prods assez dynamiques qui nous plaisent.

Ce qui prime pour nous par rapport au flow, c’est l’identité. Chacun a sa définition du flow et de ce qui est bon : c’est subjectif. Ce qui nous importe c’est qu’on puisse dire "ce mec là, j’aime pas ce qu’il fait mais il a une identité". On veut se créer notre propre univers. Mais jamais on n’aura la prétention d’amener quelque chose au Hip Hop, bien au contraire, on lui prend quelque chose et si un jour on arrive à lui reverser un petit peu de tout ce qu’il nous a donné, tout ira bien.

Harlem : On écoute aussi énormément de "old school" grâce à Logilo. Pour nous, ce sont de véritables trésors. D’ailleurs quand on écoute des MCs américains ou européens, grâce à cette culture, on sait d’où vient ce qu’ils font. On a tous "pillé" les anciens, on est tous partis d’un point zéro, pris en compte une influence et on a développé notre truc autour.

Brahi : Un label comme Rawkus est un digne héritier de ce qu’était le rap originel. Je pense pas qu’il y ait un rap français, un rap américain, un rap allemand… il y a UN rap et il n’est pas né à Chatelet les Halles.

 

Vous avez un album qui arrive si je ne me trompe pas (rires) ?

Harlem : On a voulu montrer notre univers, montrer qu’on était capable de réaliser un projet de A à Z. On veut juste montrer aux gens qu’on fait de la musique et leur fait plaisir. On n’a pas cherché à atteindre un format radio. On fait notre truc, en étant influencé bien sur, mais c’est quand même un travail personnel. C’est notre identité.

Les ¾ des prods seront assurées par Logilo mais Nabil a posé des compos aussi. Beaucoup de scratchs bien évidemment vue notre conception de la place des DJ au sein du groupe. Pour préparer sa sortie prévue pour janvier, un maxi "J’ai pas l’time / Flic ou voyou" devrait être dans les bacs en novembre.

 

Quels thèmes allez-vous aborder dans l’album ?

Harlem : On a voulu aborder des thèmes vraiment personnels, parfois même un peu bizarres. Mais pas que ça, on traite de thèmes plus classiques, on ne peut pas passer à côté. La faculté première du MC est d’apporter un nouvel angle d’analyse sur un sujet : c’est vraiment l’interprétation qui va perturber l’écoute et marquer l’auditeur. On en revient encore une fois à l’identité.

Brahi : ça fait partie du rap que de reprendre. C’est une musique basée sur le sample. Il ne faut pas passer à côté des thèmes récurrents : quand je vois un morceau qui s’appelle "Police" ça me fait toujours plaisir, pareil pour les délires de quartier, ce qui est important c’est la manière dont tu interprètes le thème.

 

Vous faites en ce moment même une sorte de tournée des gares RER. Qu’est-ce qui vous a motivé à faire ça ?

Brahi : C’est pour palier à un manque de micro ouvert, pour rendre le rap accessible à tous. On a commencé comme ça et j’ai du mal à comprendre ce qu’il y a de mieux que d’aller rapper devant les gens. C’est là que tu apprends ton travail. On a eu la chance de connaître en parallèle un travail de studio. Le métro, ça nous a permis de voir ce que les gens apprécient et de nous confronter au public le plus éclectique possible : de la mamy à la caillera en passant par le bourge ou le balayeur. Parmi ces gens là, il y en a qui paient pas de mine mais qui ont des connaissances en Hip Hop hallucinantes et sans ces jam sessions on les aurait jamais rencontré. Ça nous apporte à tous les niveaux.

Harlem : On n’invente rien non plus. C’est un simple retour aux jam sessions. Notre objectif, c’est vraiment de redorer le blason de notre musique, de faire tomber certains stéréotypes. C’est un vrai moment de bonheur. Il ne faut pas non plus entendre ça comme une mini-tournée super organisée : c’est juste un poste, une K7, deux MCs.

Brahi : Les gens s’en foutent du style musical, du moment que tu partages quelque chose avec eux, ils sont contents.

Harlem : ça nous arrive de rapper un peu en cainri, ça attire un autre public et une fois que l’attention est captée on peut balancer nos textes en français.

 

(Harlem dédicace : Vany chérie…)

 

Captain Cavern.

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